La gauche défend-elle les casseurs?
- Lors du défilé du 1er Mai, la police est intervenue de manière préventive contre une poignée de jeunes anarchistes.
- Les élus d’extrême gauche dénoncent la «répression» et en appelle à une manifestation masquée et non autorisée.
- Le POP désavoue son représentant au gouvernement, la droite critique le jeu trouble des «élus révolutionnaires».
L’an passé, à l’occasion du 1er Mai, la manifestation des «autonomes» avait réuni quelques 200 jeunes anarchistes et s’était soldée par plusieurs vitrines brisées et des dizaines de milliers de francs de dégâts. La police avait procédé à une trentaine d’interpellations, sous une pluie de pierres et de bouteilles. Les «anticapitalistes» avaient promis, par sites internet interposés, de «poursuivre la lutte». Annonçant leur volonté d’en découdre, ils s’étaient joints, cette année, au défilé syndical de la Fête du travail. La police, estimant que les jeunes du «bloc révolutionnaire», dont plusieurs étaient cagoulés, avaient clairement l’intention de perturber la manifestation, a alors opté pour une intervention préventive, en les isolant du cortège pour relever leurs identités. Quatre d’entre eux, connus des services de police, ont été interpellés et une centaine d’œufs remplis de peinture ont été saisis.
Scandalisée, l’extrême gauche politique et associative lausannoise, réunie sous la bannière des «Casseurs et Casseuses de pré-jugés» dénonce depuis la «répression» et les «arrestations au faciès» qui auraient été pratiquées ce jour-là par la police. Ses ténors habituels en appellent à une manifestation contre le «retour du fichage policier», jeudi 9 juin à 18 h la place de la Palud. Une manifestation pour laquelle aucune autorisation n’a été demandée, et dont les participants seront masqués, en signe de protestation contre le projet de loi cantonale interdisant les cagoules et objets dangereux lors des manifestations, un projet accepté par le Grand conseil fin mai et qualifié par le collectif des «Casseurs…» de «délire sécuritaire».
Comme les hooligans
«Le droit de pouvoir manifester de manière anonyme, sans être enregistré, fiché, classé, est une revendication légitime, martèle Alain Hubler, conseiller communal POP. Des employés craignent de se faire licencier pour leurs opinions. Dans un contexte différent mais à peu près similaire, l’UDC propose déjà que les hooligans arrêtés en marge des matches des foot soient dénoncés aux patrons, ou que leurs photos soient publiées sur internet!»
«La surveillance systématique et la criminalisation de ceux qui remettent en cause le système s’intensifie, assure de son côté Jean-Michel Dolivo. Je ne pense pas que casser des vitrines fasse avancer les choses, mais qu’est-ce en comparaison de la casse sociale et écologique qu’entraîne le capitalisme sauvage et la politique des grandes banques? Il faut relativiser.»
Un parallèle parlant, mais qui laisse dubitatif Marc Vuilleumier, très vivement attaqué par son propre camp. «On peut critiquer le système capitaliste, mais je crois que casser pousse au contraire les gens dans le camp opposé à nos idées.» Le municipal de la police assume par ailleurs ses responsabilités dans l’intervention du 1er Mai. «Je ne suis pas du genre à me défiler. J’accepte qu’on me dise que j’ai eu tort, mais vu les informations dont on disposait avant le cortège, le dispositif était adapté.»
Double discours?
La double casquette d’un élu comme Jean-Michel Dolivo, avocat député au Grand conseil, d’une part, et coorganisateur de la manifestation illégale de jeudi, fait grincer des dents à droite. Pour le secrétaire général du PDC lausannois José Martinho, «Il est fort regrettable de constater que ce sont nos élus, dépositaires de la confiance du peuple qui leur a accordé son vote, les premiers à porter atteinte à nos institutions, créant ainsi un grave précédent.» «Il faudrait que ces élus de gauche commencent par quitter leurs vieux réflexes révolutionnaires et leur sympathie pour les manifestants violents s’ils voulaient que l’on ne fasse pas d’amalgame rapide entre casseur et gauchiste» renchérit le député libéral Jacques-André Haury.
Jean-Michel Dolivo, pour sa part, refuse de se justifier et botte en touche. «La question du double discours concerne plutôt le POP, qui condamne aujourd’hui une action policière autorisée par son représentant à l’exécutif…»
«Mystificateurs»
«L’unité de la gauche de la gauche» qu’avait selon le popiste Julien Sansonnens provoquée l’intervention du 1er Mai n’aura pas tenu bien longtemps, d’autant que les «autonomes» eux-mêmes se sont publiquement désolidarisés de la manifestation de jeudi, «organisée par les mystificateurs de la gauche lausannoise», et n’y participeront pas. Sur leur site, le communiqué poursuit: «Nous avons été pris pour cible, non pas pour des faits, mais à cause de nos positions politiques. Parce que nous sommes partisans de la rupture avec l’État et le patronat, parce que nous ne souhaitons pas la paix du travail mais la lutte des classes, parce que nous exprimons haut et fort notre antagonisme». Un surfeur anonyme, sous le pseudonyme de Scipion, résume peut-être le fond du problème en leur rétorquant: «Quand on est tout ça, il faut pas s’étonner d’en prendre plein la gueule, de la part de ceux qui ne sont pas partisans de la rupture avec l’Etat et le patronat, qui souhaitent la paix du travail et pas la lutte des classes et qui vous prennent «antagonistement» au mot quand vous exprimez haut et fort votre antagonisme.»
Les faits d’armes des émeutiers à Lausanne
- 1er juin 2003 – Réunion du G8 à Evian
Le 1er juin au matin, une manifestation non autorisée tourne à la mise à sac. La station AGIP de l’avenue de Rhodanie, le Garage Alfa Romeo à l’avenue Montchoisi et l’hôtel Royal Savoy en particulier sont saccagés. Bilan: 7 policiers et 14 manifestants blessés, 322 personnes interpellées, 30 dénonciations et 80 plaintes pénales pour dommages à la propriété. - 18 septembre 2007 – Visite de Christophe Blocher au Comptoir Suisse
A l’issue d’une manifestation anti-UDC, une cinquantaine de casseurs s’attaquent au Palais de Baulieu, brisant vitrines et portes, incendiant les poubelles et fracassant du matériel de chantier pour construire des barricades auxquelles ils mettent le feu. La police, attaquée à coup de bouteilles et de pierres, recoure aux balles en caoutchouc et aux gaz lacrymogènes pour disperser les émeutiers avant qu’ils n’atteignent le centre-ville. - 27 mai 2008 – Conférence de Christophe Blocher en gare de Lausanne
La police intervient en nombre pour repousser environ 200 émeutiers hors de la gare et protéger le McDonald’s. Trois policiers sont blessés, mais les dégâts se limitent aux guichets CFF ainsi qu’à quelques poubelles et panneaux d’affichages arrachés.
Lausanne Cités / 04.06.2009