Cryogénisation: demain, copier-coller le contenu de son cerveau?
La cryogénisation ou cryonie (du grec kryos, ‘froid’) est la congélation du corps à extrêmement basse température (généralement à -196 °C), immédiatement après le décès, dans l’espoir de pouvoir un jour ramener le « patient » a la vie. Certains choisissent de ne faire cryoconserver que leur tête, ou uniquement leur cerveau (neuroconservation) plutôt que leur corps entier.
Ce qu’ils croient
Les cryoniciens soutiennent que tant que la structure cérébrale reste intacte, il n’y a pas d’obstacle fondamental à la récupération de son contenu informationnel, même si on ne sait pas encore le faire. Un cerveau cryogénisé est comme un ordinateur éteint, qu’une technologie encore inexistante permettra un jour de décongeler et redémarrer, avec sa mémoire intacte.
Qui sont-ils ?
Le premier cadavre à être congelé fut celui du Dr James Bedford, en 1967. Aujourd’hui près de 300 corps, têtes ou cerveaux sont cryoconservés et près de 3000 personnes ont pris des dispositions pour la cryoconservation de tout ou partie de leur dépouille par l’une des deux principales entreprises de cryogénisation que sont Alcor, en Arizona, et le Cryonics Institute, dans le Michigan. La société russe KrioRus est l’une des deux installations en dehors des États-Unis à proposer également ce service, avec le laboratoire européen d’Alcor au Portugal.
La cryogénisation n’est pas donnée : la procédure de préparation et le stockage aux États-Unis coûtent l’équivalent de 25’000 à 180’000 euros. KrioRus, qui conserve les corps en commun dans de grands cryostats, demande entre 20’000 et 32’000 euros.
Ce qu’ils font
Légalement, le processus ne peut commencer qu’après que le patient ait été déclaré légalement mort ; idéalement, dans les deux minutes suivant l’arrêt du cœur et pas au-delà de 15 minutes. Le corps est emballé dans de la glace et intubé avec des produits chimiques qui freinent la coagulation du sang. Une fois dans l’installation cryonique, il est refroidi juste au-dessus de 0°C et son sang est remplacé par une solution devant préserver les organes. Vient ensuite un antigel pour empêcher la formation de cristaux de glace dans les organes et les tissus, puis le corps est refroidi à -130°C. L’étape finale consiste à placer le corps dans un récipient qui est descendu dans un réservoir d’azote liquide à -196°C.
La technologie permettra-t’elle un jour de ramener ces corps à la vie ? Probablement pas. Leur renaissance nécessiterait de réparer les dommages causés par le manque d’oxygène, la toxicité des substances injectées, le gel des tissus qui ne se seraient pas parfaitement vitrifiés, et finalement de résoudre la cause première du décès. Les cryogéniciens font le pari que les nanotechnologies permettront un jour de régénérer les tissus endommagés, y compris les réseaux neuronaux du cerveau… Encore faudrait-il bien sûr que les entreprises cryoniques poursuivent leurs activités suffisamment longtemps : les premières tentatives de conservation, dans les années 1960 et 1970, se sont toutes soldées par un échec, les sociétés faisant faillite et les cadavres stockés devant être décongelés et éliminés.
Pourquoi c’est intéressant
Une approche différente est celle développée par Nectome, une startup californienne qui prévoit de préserver votre cerveau afin de… télécharger son contenu.
La solution développée par Nectome permet de garder intact la structure d’un cerveau, au niveau du nanomètre, y compris son connectome, c’est a dire le réseau de synapses qui relient les neurones, et ce indéfiniment, comme une statue de verre gelé. Mais il n’y a aucune attente ici que le tissu préservé puisse être réellement ramené à la vie, comme l’espère la cryogénisation « classique » : au lieu de cela, l’idée est de récupérer les informations présentes dans la structure du cerveau, grâce à une hypothétique technologie future qui permettra de scanner chacune de ses molécules, puis de télécharger tout son contenu – ses souvenirs, ses compétences, sa personnalité – sur un ordinateur. La machine simulerait exactement les processus du cerveau d’origine, accédant ainsi à la conscience sensible, et conférant à son ancien propriétaire biologique une forme d’immortalité… tant que personne ne retire la prise, bien sûr.
Cette approche, connue sous le nom d’émulation du cerveau entier, suppose évidemment que toutes les subtilités d’un esprit, d’une personnalité et d’une mémoire humaine sont contenues dans la structure de ses synapses.
Le Chou Brave 39, “Mort ou Vif”, mars 2022