« Avant la fin du monde, la fin du mois ! »
Les citoyens suisses ont refusé l’interdiction des pesticides et les taxes climatiques, mais accepté les mesures anti-terroristes et l’élargissement des pouvoirs du gouvernement. Le pays se retrouve divisé entre villes et campagne comme jamais auparavant. Comment, pourquoi ? On vous dit tout.
La Suisse n’a pas saisi l’occasion de devenir le second pays (après le Bhoutan) à bannir les pesticides de synthèse. Les Suisses ont rejeté à plus de 60% deux textes qui visaient leur disparition. L’initiative « Pour une Suisse sans pesticides » exigeait l’interdiction pure et simple des désherbants, insecticides et fongicides de synthèse. L’autre proposition, centrée sur l’eau potable, réclamait que les exploitations agricoles non bio ne touchent plus de subventions.
La campagne sur les deux initiatives a été d’une violence rare pour la politique suisse, avec menaces de mort, insultes, affiches taguées, panneaux incendiés… Ceci s’explique par la situation critique dans laquelle sont plongées de nombreuses exploitations agricoles, en Suisse comme ailleurs : les petits paysans qui luttent déjà pour leur survie voient toute baisse de rendement comme une menace aux conséquences fatales. Mais au-delà de l’aspect financier, c’est aussi ce qui est perçu comme un manque de reconnaissance de la part des citadins, avec leur image négative du «paysan-pollueur», qui a fortement agacé le monde agricole.
Les militants anti-pesticides avaient face à eux tous les partis du centre et de droite, les milieux économiques et la principale association paysanne du pays. Pour les opposants, les initiatives auraient enterré la souveraineté alimentaire de la Suisse et couté des milliers d’emplois agricoles.
« La voiture réservée aux riches ? »
Troisième objet soumis en votation en ce mois de juin, la loi sur le CO2 devait quant à elle permettre à la Suisse de remplir ses engagements pris dans le cadre l’Accord de Paris sur le climat, soit de réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Il avait fallu quatre ans au gouvernement et au Parlement pour ficeler un projet, qui était soutenu par tous les partis à l’exception de l’UDC (droite conservatrice).
Las : le moment du scrutin, dans le contexte de crise économique crée par le Covid, et le fait qu’il se retrouve coincé entre les deux initiatives anti-pesticides, lui a été fatal. Le slogan « Avant la fin du monde, la fin du mois », résume la précarité croissante d’un nombre croissant de Suisses. «+12 centimes le litre d’essence, ça va le chalet ?», «la voiture réservée aux riches ?»: les arguments des opposants étaient imparables et le projet a été enterré à une courte majorité (51,6%). En gros, la population non-urbaine a refusé d’être pénalisée parce qu’elle a besoin de sa voiture, ou parce qu’elle se chauffe au mazout.
« Mesures préventives » contre les activistes ?
Le peuple suisse a également accepté à 56% une nouvelle loi sur les mesures anti-terroristes, qui permettra à la police de prendre des « mesures préventives ». Si ce résultat, relativement serré, réjouit la droite et le gouvernement, à gauche et chez les jeunesses des partis de droite, on voit évidemment venir les abus. Le rapporteur de l’ONU sur la torture Nils Melzer craint notamment que la loi ne soit utilisée contre des militants pacifistes, comme les grévistes du climat. « Avec cette loi, la Suisse se dote d’une définition du terrorisme imprécise qui ouvre la porte à l’arbitraire policier », a aussi réagi Amnesty.
Covid : pleins pouvoirs au gouvernement
En pour finir, la Suisse a été jusqu’ici le seul pays au monde à permettre à ses citoyens de se prononcer sur la gestion de la crise sanitaire. Acceptée par deux votants sur trois, la loi Covid permet entre autre au gouvernement de prolonger l’état d’urgence sanitaire, les mesures tel que la fermeture des commerces et restaurants, les restrictions des libertés individuelles et, potentiellement, d’imposer un régime autoritaire jusqu’en 2031.
La politique de vaccination suscite toutefois une défiance fondamentale chez 40% des votants, les autorités étant accusées d’ignorer volontairement les dangers des vaccins pour la santé. Les opposants ont d’ores et déjà lancé un nouveau référendum contre le certificat sanitaire.
Lars Kophal