Prophète de malheur
Bientôt cinq siècles qu’il affole les imaginations avec ses mystérieuses prophéties sur l’avenir et les malheurs de l’humanité. Qui était Michel de Nostredame (1503-1566), alias Nostradamus, le devin-astrologue provençal ? Et comment se fait-il que son œuvre étrange et cryptée ait ainsi traversé le temps?
Bientôt cinq siècles qu’il affole les imaginations avec ses mystérieuses prophéties sur l’avenir et les malheurs de l’humanité. Qui était Michel de Nostredame (1503-1566), alias Nostradamus, le devin-astrologue provençal ? Et comment se fait-il que son œuvre étrange et cryptée ait ainsi traversé le temps?
L’an mil neuf cens nonante neuf sept mois,
Du ciel viendra un grand Roi d’effrayeur :
Resusciter le grand Roy d’Angolmois,
Avant après mars régner par bon heur.
Nos lecteurs de plus de quarante ans s’en souviennent peut-être encore : cette fameuse prophétie de Nostradamus, l’une des seules à mentionner une date précise parmi les 942 quatrains laissés par le devin provençal, avait fait couler beaucoup d’encre (et un peu de sueur) dans les années 90. En France, l’exégète catholico-royaliste Jean-Charles de Fontbrune, dans son best-seller Nostradamus historien et prophète, annonçait pour cette date l’arrivée de l’Antéchrist et le début de la troisième Guerre mondiale. Le couturier extralucide Paco Rabanne lui, prédisait la chute sur Paris et tout le Sud-Ouest de la station spatiale Mir. D’autres voyaient dans « Angolmois » une anagramme de « Mongolois » et mettaient en garde contre une invasion militaire russe. Au final, le seul évènement notable qui eut lieu ce mois-là (soit septembre, car à l’époque de Nostradamus l’année commençait en mars) fut une éclipse solaire, un évènement rare mais bel et bien prévisible pour un astrologue de la Renaissance. Grosse déception.
Mais qui était réellement Nostradamus, et surtout, pourquoi ses indéchiffrables prophéties continuent-elles de susciter une telle fascination, près de cinq siècles après leur publication ?
Médecin et astrologue
Michel de Nostredame est né le 14 décembre 1503 à Saint-Rémy-de-Provence. Apres des études d’apothicaire à Avignon, il obtient en 1532, à la faculté de Montpellier, le grade de docteur en médecine. Il soigne avec plus ou moins de succès les malades de la peste (qui emportera sa première femme et ses enfants) à Marseille, Aix et Lyon, puis part en voyage en Italie, « the place to be » pour un lettré humaniste de l’époque.
En 1550, installe à Salon-de-Provence, près de Marseille, il publie sa première Pronostication, une sorte d’almanach contenant des prévisions mensuelles pour l’année suivante, dans un style vague et ambigu qui annonce déjà celui des Prophéties. Chacun sait a l’époque que les planètes exercent une influence, bénéfique ou néfaste, sur les organes et le corps, il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’un médecin soit aussi astrologue.
La première Edition des Prophéties de Me Michel Nostradamus parait cinq ans plus tard. Elle contient 353 petits poèmes énigmatiques de quatre lignes, repartis en 4 « centuries ». (une centurie complète = 100 quatrain, la dernière Edition rassemblant 942 quatrains en 10 centuries). Chaque quatrain est supposé prédire, de façon volontairement cryptique et codée, un évènement à venir.
On ne sait pas exactement comment Nostradamus distribuait ses ouvrages, mais il est probable qu’ils étaient vendus dans les foires de France et de Navarre, et qu’en précurseur de l’autopromotion il en envoyait des copies aux « influenceurs » de son temps, penseurs, princes et cardinaux avec lesquels il correspondait et pour lesquels il rédigeait des horoscopes. Ronsard, notamment, était un fan enthousiaste.
Le retentissement des Prophéties est presque immédiat en France, puis jusqu’en Allemagne et en Angleterre, le terrain ayant été bien préparé par ses almanachs. Après que sa première collection ait été portée à l’attention de la cour, Nostradamus reçoit une invitation royale à se rendre à Paris, où Catherine de Médicis, la reine d’Henri II, est une fervente adepte d’occultisme.
Le 10 juillet 1559, survient l’évènement qui va asseoir définitivement la renommée de Nostradamus pour ses contemporains – et pour les siècles suivant. Au cour d’un tournoi, le roi est éborgné par la lance du jeune Gabriel de Montgomery qui va se ficher dans son heaume doré. Henri II décède après douze jours d’agonie. Or quatre ans plus tôt, Nostradamus avait décrit exactement ceci :
Le lyon ieune le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duelle
Dans cage d’or les yeux luy creuera
Deux classes une, puis mourir, mort cruelle.
Un futur de feu et de sang
A sa mort, en 1566, Nostradamus laisse derrière lui une œuvre, à la fois occulte et poétique, impressionnante et sans équivalent, qui allait générer une véritable industrie littéraire (on parle de près de 10’000 ouvrages lui ayant été consacré). Un jeu de piste constitué d’un près d’un millier de petits poèmes étranges qui sont autant d’énigmes à résoudre, de messages codés à déchiffrer. Depuis 470 ans, des milliers d’interprètes ont tenté de pénétrer ses techniques poétiques pour reconnaitre ce qu’il a délibérément obscurci, puis en tirer des interprétations plus ou moins hasardeuses, plus ou moins inspirées, au gré du chaos de l’Histoire. Et comme évidemment ces commentaires sont rétrospectifs, en tordant un peu les prophéties à l’aune des évènements survenus, il est possible d’affirmer que Nostradamus avait tout prévu, de l’ascension de Hitler aux attentats du 11 septembre 2001 en passant par l’assassinat de Kennedy ou les Panama Papers.
Une seule chose est sure, c’est que le futur selon Nostradamus n’est pas rose. Les Prophéties n’annoncent que du sang, des larmes et des catastrophes. « Le “glaive de Dieu éternel” frappera les hommes par la peste, la guerre et la famine, par des “mutations de règnes”, par le “dard du ciel”, l’apparition d’un étrange oiseau dont la venue s’accompagnera d’une terrible famine, si grande “que l’homme d’homme sera anthropophage”. Un mouvement perpétuel anime son écriture en évoquant les tremblements de terre, les tempêtes destructrices, les crues dévastatrices des fleuves, les maladies, les mers sanglantes, la mort, la ruine, la “terre sèche”, les grands vents, la “loyauté rompue”, le “cruel acte”, la discorde. La futurologie de Nostradamus s’exprime dans une litanie de signes qui disent que la colère de Dieu plane sur l’humanité parce que les hommes transgressent les commandements divins : cruauté inouïe, férocité barbare, oppression de la liberté, maisons et cités brûlées, effusion du sang des femmes et des enfants, guerres civiles, persécutions. » [1]
Une succession terrifiante de guerres et de massacres, d’inondations et d’incendies, de périls et de cataclysmes, donc. Et la peste, omniprésente dans les 2568 vers qui composent Les Prophéties. Citons par exemple le quatrain 53 de la deuxième centurie, dans lequel certains exégètes ont voulu reconnaitre le Covid-19, même si malheureusement (pour les fans de Nostradamus) Wuhan, l’épicentre de la pandémie, n’est pas une ville maritime :
La grande peste de cité maritime
Ne cessera que mort ne soit vengée
Du juste sang, par pris damne sans crime
De la grand dame par feincte n’outragée.
Un petit dernier pour la route ? Allez :
La grande cité sera bien désolée
Des habitants un seul n’y demeurera
Mur, sexe temple, et vierge violée
Par fer, feu, peste, canon peuple mourra.
En somme, ce qui rend l’œuvre de Nostradamus intemporelle, c’est le caractère désespérément récurrent à travers l’Histoire du type d’évènements qu’il décrit, de façon suffisamment vague pour être certain que dans cinq siècles, ses prophéties resteront d’actualité… si tant est qu’il reste quelqu’un pour les lire.
[1] Prof. Denis Crouzet, professeur d’histoire moderne à l’université Paris-Sorbonne francearchives.fr/fr/pages_histoire/39680